Au début des années 2000, le rapport « Les oubliés de l’égalité des chances », publié par l’Institut Montaigne, marquait un tournant dans le débat public français. Il pointait du doigt l’exclusion persistante de jeunes français, principalement issus de l’immigration et vivant dans des quartiers populaires, du marché de l’emploi. Ce constat donnait naissance à la Charte de la Diversité et ouvrait la voie à une reconnaissance progressive des enjeux liés à l’égalité des chances. Depuis, le mot « diversité » s’est imposé dans les discours politiques, médiatiques et managériaux. Pourtant, la question des origines, dans toute sa complexité, reste souvent évitée, mal définie ou réduite à un vocabulaire flou.
Dans ce contexte, la Chaire pour l’Inclusion Économique et la Promotion de la Diversité, portée par Ascencia Business School et la Fondation Mozaïk, a organisé une journée d’étude intitulée « Diversités des origines : état des lieux et perspectives ». Cette rencontre avait pour ambition de mettre en lumière les multiples dimensions de la notion d’origine – ethnique, sociale, géographique et culturelle – et d’interroger leur place dans le monde professionnel.
Distinguer pour mieux comprendre
L’usage du mot « origine » dans le débat public et dans les politiques d’inclusion est marqué par une certaine gêne, voire un tabou. En France, il est rarement assumé de manière explicite, et son emploi reste souvent cantonné à une interprétation ethnique, réduite à la couleur de peau, au patronyme ou à une ascendance étrangère, réelle ou supposée. Mais les origines recouvrent d’autres réalités.
L’origine sociale, qui s’appuie sur la position socio-économique des parents, joue un rôle déterminant dans les trajectoires professionnelles. L’origine géographique, quant à elle, renvoie aux inégalités territoriales – qu’il s’agisse des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) ou des zones rurales isolées. Enfin, l’origine culturelle, incluant des pratiques sociales ou religieuses, peut elle aussi faire l’objet d’assignations ou de stéréotypes.
C’est pourquoi il convient de parler des diversités des origines. Cette approche plurielle permet d’éviter les amalgames et d’appréhender de manière plus fine les inégalités et les leviers d’action.
Une journée de recherche pour croiser les regards
La journée s’est ouverte par l’intervention d’Olivier de Lagarde, Président du Collège de Paris, qui a rappelé l’urgence d’une réflexion collective sur ces enjeux dans les organisations.
La keynote d’introduction, assurée par Ariane Badet (doctorante en sciences politiques à l’IEP Paris), a posé les bases théoriques du débat en interrogeant les non-dits autour de l’origine dans les espaces professionnels.
Trois sessions de communication ont ensuite permis d’explorer les diversités des origines à travers des travaux de recherche et des retours d’expériences concrets :
- Première session, présidée par George Kassar :
- Lauryane Tassigny a analysé les parcours de jeunes issus des QPV et ZRR.
- Christian Makaya a proposé une lecture critique de deux controverses médiatiques autour de la diversité.
- Loïc Fourot et Amina Rouatbi ont présenté une étude intersectionnelle sur les dirigeants issus de l’immigration extra-européenne.
- Présentation institutionnelle :
- Ines Dauvergne Haddout (Me & YouToo) et Mariam Khattab (Mozaïk RH) ont livré un état des lieux de la diversité dans les instances dirigeantes du SBF 120.
- Cette intervention a été suivie d’un débat animé par Mariam Khattab avec Rachida Tahar (Opella), Basma Bonnefoy Azibi (groupe M6) et Christian Lema (NHOOD) sur les parcours de dirigeants d’origine extra-européenne.
- Atelier :
- Stéphane Ginocchio a introduit l’apport des neurosciences dans la compréhension des biais dans les relations interpersonnelles.
- Deuxième session, présidée par Loïc Fourot :
- Amina Rouatbi et Kadiatou Kebe ont présenté une étude sur l’intégration des réfugiés.
- May Courie a interrogé le rôle des structures organisationnelles dans des environnements complexes.
- Rémy Park a exposé ses travaux sur l’acculturation des réfugiés nord-coréens.
- Troisième session, présidée par Amina Rouatbi :
- Amna Mezni a questionné les trajectoires entrepreneuriales féminines issues des minorités.
- Abel Mensah et Mamadou Sanoussy Sow ont présenté une analyse bibliométrique de la stigmatisation en entrepreneuriat.
- Marie Paule Babli a proposé une réflexion sur l’entrepreneuriat des migrants comme outil d’inclusion.
Vers une action concrète et inclusive
En rassemblant chercheurs, praticiens et acteurs engagés, cette journée d’étude a permis de croiser les approches empiriques, théoriques et méthodologiques pour mieux comprendre les obstacles et les dynamiques à l’œuvre. Elle a également ouvert la voie à de nouvelles pistes d’action, notamment en matière de mesure de la diversité, de formation à la lutte contre les biais, ou de soutien à l’entrepreneuriat des personnes issues de la diversité.
En dressant un état des lieux approfondi, cette rencontre ambitionne de faire des diversités des origines un véritable levier d’innovation sociale et de transformation des organisations.